i could've had it all.

C'était déjà le cinquième appel qu'il recevait de la part d'Allie, et deux sms. Un pour lui dire qu'elle avait préparé ses délicieuses lasagnes, et l'autre pour lui demander si elle devait l'attendre ou s'il se les ferait réchauffer en rentrant. Son coeur se serrait à l'idée de lui faire de la peine. Ils n'avaient pas mangé ensemble depuis toute une semaine. Un jour sur deux, il l'avait trouvée endormie sur le canapé, devant sa série préférée, et l'avait posée délicatement dans leur lit avant de la rejoindre sur les coups d'une ou deux heures du matin. Il n'arrivait plus à trouver le sommeil comme avant. Ce soir-là, Reed avait décidé de faire un effort et n'attendit pas le sixième coup de téléphone pour rassembler ses affaires et prendre le chemin de leur maison. Il pianota rapidement une réponse pour ne pas l'inquiéter davantage. Je suis là dans quinze minutes. Il aurait pu prendre un raccourci mais il avait besoin de cette petite balade pour rassembler ses pensées. Elles partaient dans tous les sens en ce moment. Il faudrait bien qu'il le lui dise. Il savait au fond de lui qu'il ne pourrait pas faire durer cette situation. Il avait les vêtements froissés et les cheveux en bataille depuis la sieste qu'il s'était autorisé après le déjeuner. On était loin de l'image de l'homme propre sur lui qu'il s'efforçait toujours de donner. Comme un gamin pris la main dans le sac, honteux de ce qu'il lui faisait vivre et de ce dont il avait l'air, Reed frappa trois petits coups à leur porte. Toc, toc, toc.

Allie attendait patiemment à la maison. Elle avait pris congé, car elle s'était réveillé avec une migraine. Les heures passées à la maison, à épousseter, nettoyer la salle de bain, faire la lessive, plier les vêtements. En bonne femme de maison, quoi. Le problème, était que son mal de tête ne voulait partir. Tant de choses se bousculaient dans sa tête. Des inquiétudes, des questionnements. Depuis quelques semaines, quelque chose clochait dans son couple. Ils s'éloignaient dangereusement. Les moments entre eux se faisaient plus rare. Elle le sentait distant. Avait-elle fait quelque chose qui lui avait déplu? Pourtant, Allie faisait tous les efforts, lui proposant des activités, le téléphonant pour lui dire qu'elle avait hâte de le voir. Allie s'était fait des scénarios. Il avait peut-être une autre femme, ou alors il ne l'aimait plus. Il y avait certainement quelque chose qui n'allait pas. Et elle avait bien l'intention de le découvrir. Allie avait préparé des lasagnes pour le repas, elle lui demandait s'il allait arriver bientôt. Quelques minutes plus tard, il lui répondit par sms qu'il serait là dans quinze minutes. Toute heureuse, Allie se regarda dans le miroir, ajustant son maquillage. Elle voulait accueillir son homme comme il se doit. Sans en faire trop, bien sûr. Surprise d'entendre cogner à la porte, elle fila vers l'entrée. "Bonsoir. Tu avais oublié ta clé?" elle le regarda, il y avait effectivement un truc qui clochait.

L'espace d'un instant, Reed eut l'impression de revenir quelques années en arrière, à cette soirée où Allie lui avait laissé le souffle coupé. Elle était toujours aussi belle, même avec la mine fatiguée. Il faudrait qu'il l'aide un peu plus dans les tâches ménagères pour la soulager de ses journées, entre le travail, la maison et le mariage. Il lui en demandait beaucoup ces derniers temps. Quelle lâche il faisait quand même. "Bonsoir... Je ne voulais pas te déranger." Comme si elle allait lui préparer une surprise alors qu'elle ne savait sûrement plus à quoi s'en tenir. Il se gratta la tête d'un geste machinal, passa devant elle en lui effleurant le bras, accrocha sa veste au porte-manteau et laissa tomber sa sacoche sur le tapis. Fut une époque où il se serait retourné avec un grand sourire sur les lèvres et l'aurait embrassée, en lui disant qu'il avait de la chance de vivre avec elle. Il le pensait toujours, mais les mots faisaient mal, tant leur avenir à deux lui paraissait confus. Il se retourna effectivement mais se contenta de la regarder comme un animal perdu et en même temps content de retrouver un foyer. "J'ai croisé un de tes collègues, aujourd'hui. Il se faisait du souci pour toi." C'était ce qui l'avait décidé à ne pas la laisser dîner seule ce soir. Il devait essayer de la rassurer et de lui faire comprendre que ses sentiments pour elle n'avaient pas changé. Doucement, il tenta d'attraper sa main sur laquelle brillait la bague qu'il lui avait offerte six mois plus tôt, à l'occasion de leurs fiançailles. Il ne regretterait jamais sa demande qui traduisait tout ce qu'il ressentait pour elle encore aujourd'hui. "On a bientôt bouclé notre affaire." Après ça, il s'était promis de prendre les vacances qu'il n'avait pas pris depuis un an. Il n'aurait plus le choix de se confronter à Allie, en étant à la maison.

Au fond d'elle, Allie sentait qu'il se passait quelque chose. Il y avait des signes qui ne mentent pas. Une impression. Un mauvais feeling. Quelque chose avait changé, Reed était distant, différent. Elle allait finir par découvrir ce qu'il se tramait. Bien sûr, elle s'en faisait des scénarios des plus catastrophique. Se réveillant la nuit, en sueurs, ayant fait le pire des cauchemars. Reed avait un cancer, ou alors il avait une double vie, il n'était pas réellement qui elle pensait, il voyait une autre, avait une femme et des enfants? Ces scénarios, elle se les répétait sans-cesse. Elle allait finir par devenir folle à force. Mais Allie était forte, elle aimait son homme de tout son coeur et peu importe, elle allait le garder. C'était une mauvaise passe. Tous les couples en ont un moment ou un autre. Reed avait cogné à la porte, ce qu'elle trouvait étrange. Il dit qu'il ne voulait pas la déranger. Elle le laissa entrer, il avait déposé son sac par terre, il la regardait à nouveau. Les deux amoureux se fixaient un moment, puis Allie déposa un baiser sur sa joue. Elle allait chercher des petits éléments de tendresse, même s'il fallait le forcer. Reed dit avoir croisé le collègue de la jeune femme, qu'il s'inquiétait. "Pas d'inquiétudes à avoir, seulement un mal de tête." elle avait envie d'ajouter causé par toutes les inquiétudes que tu me fais vivre. Elle sentait soudain les larmes monter, mais elle se ravisa tout de suite. Au même moment, Reed lui prenait la main, ajoutant qu'il avait bientôt terminé le gros dossier au boulot. "Génial, tu dois être rassuré. Tu bosses comme un fou depuis des mois." Allie avait envie de lui sauter au cou, tellement elle était heureuse de cette nouvelle. Peut-être allait-il être plus présent à la maison, pour leur couple? Elle le souhaitait plus que tout.

Il n'avait parlé à personne de son rendez-vous, et quand il était rentré ce jour-là, il avait dit à Allie que le médecin lui avait prescrit un bilan sanguin, parce qu'il l'avait trouvé un peu fatigué. Le lendemain, il avait prétendu être allé au laboratoire avant le travail, et après quelques recherches sur Internet, s'était inventé une carence en fer anodine qu'il avait mis sur le compte de leur régime flexitarien. Comme beaucoup de gens, ils faisaient attention à consommer moins de viande. Reed s'était mis à manger une poignée d'amandes au réveil depuis qu'il en avait lu les bienfaits. Mais il avait bien conscience que ses mensonges n'expliquaient pas son changement brutal de comportement. Le baiser qu'Allie déposa sur sa joue le prit de court. "Tu es toujours aussi belle..." Son regard, à cet instant, retrouvait un peu du désir qu'il éprouvait pour sa fiancée. C'était ce qui le déstabilisait le plus. La vie aurait pu priver d'enfants un couple qui s'aimait pour l'argent, mais c'était au sien qu'elle avait décidé de s'attaquer. Ça le rendait malade. "Tu as pris quelque chose ?" Il se sentait comme un con en voyant la tristesse dans les yeux d'Allie. Reed ouvrit ses bras pour qu'elle puisse se blottir contre lui. Il aimait l'odeur de ses cheveux, un mélange de miel et pamplemousse, doux et sucré. Combien de fois l'avait-il imaginée avec leur fille dans les bras, qui aurait d'aussi jolies ondulations que sa maman. À cette pensée, Reed se recula subitement. "Je ne peux pas. Je suis désolée... Je n'y arrive pas." Il fit quelques pas en direction de la cuisine où le repas était sûrement déjà froid. Comment lui dire ce qui le préoccupait depuis des semaines. Qu'il vivait avec un énorme poids sur la conscience, dans la poitrine. "Je repensais à notre affaire." Esquiver, c'était ce qu'il faisait encore de mieux ces derniers temps. Il se montrait plus efficace et concentré avant. Jamais il n'avait passé autant de temps sur une enquête avec l'impression de piétiner. C'était à ses coéquipiers qu'il devait sa résolution. "Il te reste des jours à poser, pour qu'on parte ? Paris. Tu as toujours rêvé de cette ville, non ?" Là où il ne pourrait pas fuir. Il la faisait souffrir, ici. Il souffrait lui aussi.